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Au Bonheur des Dames

Grands magasins de la Paix
Grands magasins de la Paix

Bibliothèque nationale de France

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Toujours attentif aux mutations de la société sous le Second Empire, Émile Zola s'intéresse à l'apparition du commerce de masse avec la construction des grands magasins comme le Bon Marché ou Le Printemps. Au Bonheur des Dames, publié en 1883, retrace ainsi l'expansion de l'un d'entre eux grâce aux techniques de vente imaginées par son patron, Octave Mouret.

Le monde des grands magasins

Onzième volume de la série des Rougon-Macquart, Au Bonheur des Dames est publié en librairie chez Charpentier, le 2 mars 1883. Il avait d’abord fait l’objet d’une publication en feuilleton dans le Gil Blas, du 17 décembre 1882 au 1er mars 1883.

On vend ce qu'on veut, lorsqu'on sait vendre ! Notre triomphe est là.

Émile Zola, Au Bonheur des dames , 1883.

Denise Baudu arrive à Paris pour travailler dans l’antique boutique de son oncle avant d’être engagée au « Bonheur des Dames », un grand magasin que dirige Octave Mouret. Le récit montre le développement progressif de ce magasin dont la croissance bouleverse la vie du quartier en provoquant la disparition des petits commerces qui l’entourent. Le succès sourit à Mouret, entrepreneur visionnaire qui a su inventer de nouvelles méthodes de vente. Il ne lui manque qu’un seul bonheur, l’amour de Denise, longtemps réticente ; mais il l’obtient enfin dans un dernier chapitre qui permet à l’intrigue de se conclure sur une note heureuse  – fait exceptionnel dans le cycle des Rougon-Macquart.

Galerie rue de Babylone, magasins du Bon Marché
Galerie rue de Babylone, magasins du Bon Marché |

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Maison du Petit Saint-Thomas
Maison du Petit Saint-Thomas |

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Dans son dossier préparatoire, Zola indique qu’il veut écrire le « poème de l'activité moderne ». Rejetant la vision pessimiste qui a dominé jusque-là dans son œuvre (il se trouve alors au milieu du cycle des Rougon-Macquart), il souhaite, pour une fois, « ne pas conclure à la bêtise et à la mélancolie de la vie, conclure au contraire à son continuel labeur, à la puissance et à la gaieté de son enfantement. » Ce qu’il désire, c’est « aller avec le siècle, exprimer le siècle, qui est un siècle d'action et de conquête, d'efforts dans tous les sens ». Et il ajoute : « Ensuite, comme conséquence, montrer la joie de l'action et le plaisir de l'existence ; il y a certainement des gens heureux de vivre, dont les jouissances ne ratent pas et qui se gorgent de bonheur et de succès : ce sont ces gens-là que je veux peindre, pour avoir l'autre face de la vérité, et pour être ainsi complet ».

Grande mise en vente de blanc
Grande mise en vente de blanc |

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Inauguration des Grands magasins du Louvre, la galerie des soieries
Inauguration des Grands magasins du Louvre, la galerie des soieries |

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Le grand magasin d’Octave Mouret apparaît comme une « cathédrale » de la modernité. Sa construction célèbre le progrès industriel par l'audace de son architecture et par le luxe de sa façade monumentale qui se dresse pour attirer les foules, tel un gigantesque panneau publicitaire. C'est un « temple » édifié pour la femme, dans lequel celle-ci est soumise, mais où elle trouve également un espace de liberté. C’est un lieu de passage, où s'écoule le flot des marchandises sans cesse renouvelées, le lieu d'un argent productif, échappant aux thésaurisations stériles, et qui fructifie pour le bonheur de ceux qui savent le capter.

Un roman optimiste

Alors, avec une impétuosité d'enfant, elle se jeta à son cou, sanglota elle aussi, en bégayant :
– Oh ! monsieur Mouret, c'est vous que j'aime !

Émile Zola, Au Bonheur des dames , 1883.

Au Bonheur des Dames raconte aussi une belle histoire d'amour. On peut sourire devant cette idylle qui réunit un patron et son employée, jeune orpheline vertueuse arrivée de sa province. Mais elle permet à Zola de construire un personnage de jeune femme forte, capable de résister à l’adversité et de prendre en mains son destin. Le romancier défend, pour la femme, l'idée d'une existence active. Il la montre capable de se réaliser dans le travail, susceptible d'être l'égale de l'homme et de devenir son associée. Le personnage de Denise anticipe sur la Pauline raisonnable de La Joie de vivre, sur la Caroline de L’Argent, conseillère avisée de Saccard, ainsi que sur les figures féminines conquérantes qui apparaîtront dans les deux cycles qui succéderont aux Rougon-Macquart, Les Trois Villes et Les Quatre Évangiles. Zola s’engage ainsi dans le grand débat sur la condition féminine qui lui tient à cœur. Ajoutons encore cette remarque d’ordre biographique : en septembre 1889, quand Jeanne Rozerot lui donnera une petite fille, c’est le prénom de Denise qu’il choisira pour l’enfant qui vient de naître.

Et se tournant vers Octave, elle ajouta : « Monsieur le Baron Hartmann »
Et se tournant vers Octave, elle ajouta : « Monsieur le Baron Hartmann » |

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Passez à la caisse
Passez à la caisse |

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Surprise par la tonalité du roman, si différente de celle des ouvrages antérieurs, la critique contemporaine s’est montrée, dans l'ensemble, élogieuse. Dans une lettre datée du 4 mars 1883, Louis Desprez fait part à Zola de l’enthousiasme qui l’a saisi à la lecture d’un roman, animé, selon lui, d’« un souffle épique » : « C'est une arche immense que le Bonheur des Dames ; sous les hautes voûtes métalliques, toute l'activité moderne, effarée, bourdonne. L'énorme édifice vibre et respire. C'est la machine qui habille Paris, comme les Halles sont les machines qui le nourrissent. Les deux édifices correspondent, comme les deux livres font pendants. »

Réception et adaptations

Au 19e siècle, le roman a connu des tirages honorables, mais qui le situent, cependant, loin derrière La Débâcle, L’Assommoir, Nana, Germinal ou La Terre. Aujourd’hui, en revanche, il figure, dans les différentes collections de poche, parmi les volumes des Rougon-Macquart les plus vendus, occupant la 3e place, derrière Germinal et L’Assommoir.

Au Bonheur des Dames, coupe du roman de M. Émile Zola par Albert Robida
Au Bonheur des Dames, coupe du roman de M. Émile Zola par Albert Robida |

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Les expositions de blanc avaient surtout un prodigieux succès
Les expositions de blanc avaient surtout un prodigieux succès |

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Le cinéma en a proposé plusieurs adaptations cinématographiques du roman, dont celle de Julien Duvivier en 1929 (avec Dita Parlo dans le rôle de Denise) et celle d’André Cayatte, en 1943 (avec Michel Simon, dans le rôle de l’oncle Baudu, Albert Préjean, dans celui de Mouret, et Blanchette Brunoy dans celui de Denise).

Provenance

Cet article a été rédigé en mars 2025.

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