Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

L'Œuvre

Le Déjeuner sur l’herbe (Manet)
Le Déjeuner sur l’herbe (Manet)

© RMN -Grand Palais(Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Le format de l'image est incompatible
Quatorzième volume de la série des Rougon-Macquart, L’Œuvre est centrée autour du personnage de Claude Lantier, le fils de la Gervaise de L'Assommoir. Inspiré par divers peintres contemporains comme Manet ou Cézanne, celui-ci poursuit un idéal esthétique exigeant mais inaccessible.

Le drame de la création artistique

Quatorzième volume de la série des Rougon-Macquart, L’Œuvre a été publiée en librairie chez Charpentier, le 31 mars 1886. Le roman avait d’abord fait l’objet d’une publication en feuilleton dans le Gil Blas, du 23 décembre 1885 au 26 mars 1886.

L’unique soutien, pendant ces heures mauvaises, passées à s’acharner sur l’œuvre rebelle, c’était le rêve consolateur de l’œuvre future : celle où il se satisferait enfin, où ses mains se délieraient pour la création.

Émile Zola, L'Œuvre , 1886.

L’Œuvre de Zola est un roman dont le sujet est création artistique. Il met en scène la destinée d’un groupe d’artistes rassemblés autour du peintre Claude Lantier (l'un des fils de Gervaise) et du romancier Pierre Sandoz. Claude Lantier poursuit un idéal esthétique exigeant, mais les milieux académiques le repoussent et il se heurte à des échecs successifs. Ni l'amour que lui voue Christine, ni les liens affectueux qui l’attachent à Sandoz, son ami d’enfance, n'empêcheront qu'il se laisse progressivement emporter par le doute et par le désespoir. Sa dernière tentative picturale est une « Femme nue », une œuvre dans laquelle il veut enfermer l’ensemble de sa vision artistique. Mais incapable d’aller jusqu’au bout de son effort, il se pend devant le tableau inachevé.

L’Atelier de la rue de La Condamine
L’Atelier de la rue de La Condamine |

Musée d’Orsay, RMN - Hervé Lewandowski

La Sortie du Salon au Palais de l’industrie
La Sortie du Salon au Palais de l’industrie |

© Musée Carnavalet, cliché Giet

Dans les premières lignes de son dossier préparatoire, Zola souligne la complexité de son projet : « Avec Claude Lantier, je veux peindre la lutte de l'artiste contre la nature, l'effort de la création dans l'œuvre d'art, effort de sang et de larmes pour donner sa chair, faire de la vie : toujours en bataille avec le vrai, et toujours vaincu, la lutte contre l'ange. En un mot, j'y raconterai ma vie intime de production, ce perpétuel accouchement si douloureux ; mais je grandirai le sujet par le drame, par Claude, qui ne se contente jamais, qui s'exaspère de ne pouvoir accoucher de son génie, et qui se tue à la fin devant son œuvre irréalisée. Ce ne sera pas un impuissant, mais un créateur à l'ambition trop large, voulant mettre toute la nature sur une toile et qui en mourra. »

À travers l’histoire d’un peintre il s’agit donc de poser le problème de la création artistique d’une manière générale. Pour construire son personnage central, Zola s’est inspiré de différents modèles que lui offrait le milieu artistique contemporain. La critique littéraire a vu dans L'Œuvre un roman à clefs, retraçant l’histoire de Cézanne à travers celle de Lantier. Elle a reproché à Zola d’avoir méconnu le génie de celui avec qui il avait partagé, à Aix-en-Provence, les plus belles années de sa jeunesse. Ce procès d'intention apparaît peu fondé : Claude Lantier est un être composite qui combine les traits de plusieurs peintres de la seconde moitié du 19e siècle – de Cézanne, sans doute, mais aussi de Manet, de Monet ou d’André Gill.

Portrait d’Émile Zola par Édouard Manet
Portrait d’Émile Zola par Édouard Manet |

© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Édouard Manet en buste
Édouard Manet en buste |

« Licence Ouverte / Open Licence »

Succédant au Chef-d'œuvre inconnu de Balzac (1832) et à Manette Salomon des Goncourt (1867), L'Œuvre s’inscrit dans la lignée des romans de l’artiste dont l’intention est de représenter la destinée tragique d’un créateur que la société se montre incapable de comprendre. Le récit décrit la naissance du mouvement impressionniste. Il est fondé sur un contexte historique que Zola connaît bien, à la suite des batailles qu’il a conduites, au milieu des années 1860, pour défendre l’œuvre de Manet. La plupart des épisodes qui ont marqué la bataille artistique de la fin du Second Empire se reconnaissent aisément : l'intrigue commence au moment du Salon des Refusés de mai 1863 ; le tableau que compose Claude Lantier, Plein Air, ressemble par ses motifs au fameux Déjeuner sur l'herbe d'Édouard Manet. Mais Zola fait de Claude Lantier un peintre qui sort bientôt de l’école impressionniste pour explorer d’autres voies. Son évolution résume les découvertes de toute une époque – de l'impressionnisme au symbolisme.

La réception du roman par les peintres

D’une manière générale on considère que la parution du roman, en 1886, a entraîné la fin de l’amitié qui unissait Zola et Cézanne. La critique a longtemps soutenu cette thèse en se fondant sur une lettre, datée du 4 avril 1886, dans laquelle Cézanne accusait réception de l'envoi du volume qui venait de lui être adressé. Plusieurs commentateurs ont voulu voir une déclaration de rupture dans les termes employés par le peintre : « Je remercie l'auteur des Rougon-Macquart de ce bon témoignage de souvenir, et je lui demande de me permettre de lui serrer la main en songeant aux anciennes années. » Or, à l’occasion d’une vente aux enchères qui s’est déroulée en 2013, on a découvert une nouvelle lettre de Cézanne à Zola, datée du 28 novembre 1887, qui montre que les relations entre les deux amis d’enfance n’ont pas cessé brutalement en avril 1886. Que faut-il en conclure ? Si les liens entre Zola et Cézanne se sont progressivement distendus à partir de la fin des années 1880, ce n’est sans doute pas à cause de ce que pouvait signifier le personnage de Claude Lantier. En lisant L’Œuvre, Cézanne a pu se reconnaître partiellement dans le récit qui était proposé. Mais il connaissait, depuis de nombreuses années, le projet qu’avait Zola d’écrire un roman sur les milieux artistiques. Il savait quelles pouvaient être les contraintes d’une intrigue portant sur le thème de la création. Il ne s’est donc pas mépris sur la logique narrative d’une histoire qui devait nécessairement aboutir à la mort du personnage principal, vaincu par son ambition esthétique.

Portrait de Paul Cézanne
Portrait de Paul Cézanne |

Bibliothèque nationale de France

Lettre de Paul Cézanne à Émile Zola
Lettre de Paul Cézanne à Émile Zola |

Bibliothèque nationale de France

Au moment de sa parution, le roman a été accueilli avec un certain nombre de réserves par le milieu des peintres impressionnistes. Dans l'une de ses lettres, Monet exprime un sentiment généralement partagé : « Vous avez pris soin, avec intention, que pas un seul de vos personnages ne ressemble à l'un de nous, mais malgré cela, j'ai peur que dans la presse et le public, nos ennemis ne prononcent les noms de Manet ou tout au moins les nôtres pour en faire des ratés, ce qui n'est pas dans votre esprit, je ne veux pas le croire. »

L'Œuvre au cinéma

Le cinéma ne s’est guère intéressé au roman. L'Œuvre n’a fait l'objet que d’une adaptation télévisée, réalisée, en 1967, par Pierre Cardinal, avec Bernard Fresson, dans le rôle de Claude Lantier, et Marie-Christine Barrault, dans celui de Christine. On peut cependant considérer que le film Cézanne et moi, réalisé par Danièle Thompson, en 2016, constitue une reprise du matériau biographique proposé par le roman. Le film (dans lequel Guillaume Canet incarne le personnage de Zola et Guillaume Gallienne celui de Cézanne) raconte la longue amitié qui a uni le peintre et le romancier, de leurs années de jeunesse jusqu’à leur maturité. Plusieurs de ses scènes s’inspirent directement du récit que fournit L'Œuvre.

Lien permanent

ark:/12148/mmd07r5250j7