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Quelques aspects de l'économie au 18e siècle

Pensée économique, crises frumentaire et commerce colonial
Londres, vue de la Bourse royale
Londres, vue de la Bourse royale

Bibliothèque nationale de France

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Au 18e siècle, l'économie européenne repose encore largement sur l'agriculture, et notamment sur les céréales, base de l'alimentation. À partir de 1750 toutefois, de nombreuses innovations techniques et une forte poussée démographique entraînent des évolutions agricoles et industrielles qui bouleversent l'organisation économique et sociale du continent pour longtemps. Affectant la structure et le développement économiques des pays européens, ces changements trouvent naturellement un écho dans le domaine des idées avec l'émergence de nouvelles théories économiques.

Les prémices d'une pensée économique

Mercantilisme et libéralisme

Bien que l'intérêt pour les questions économiques se manifeste dès l'Antiquité, ce n'est qu'au moment de la Renaissance qu'elles deviennent un objet d'étude indépendant. Chez ces précurseurs de la science économique se trouvent déjà en germe deux visions du monde : interventionniste ou libérale.

Jean Baptiste Colbert
Jean Baptiste Colbert |

Bibliothèque nationale de France

Le mercantilisme, intitulé qui regroupe la plus grande part de la production théorique en matière d'économie du 16e au 18e siècle, correspond à un mouvement de pensée encore fragmentaire et descriptif. Il apparaît néanmoins comme la première d'une série de doctrines de plus en plus structurées dont les apports nourriront, surtout à partir du 19e siècle, le développement de la science économique.

Le mercantilisme vise à accroître la richesse d'un pays en augmentant l'entrée de métaux précieux sur son territoire. Cet enrichissement peut passer par plusieurs biais : l'ouverture de mines d'or et d'argent, la mise en place d'un commerce international ou le développement d'une industrie nationale. C'est cette dernière voie qui est favorisée en France par Colbert, ministre de Louis XIV : il encourage la création de manufactures et taxe lourdement les importations.

Au contraire, le penseur écossais Adam Smith, dans La Richesse des national (1776) défend l'idée que que la libre concurrence permet une meilleure répartition des ressources. Pour lui, la « main invisible » des marchés fait que chacun, en poursuivant son intérêt personnel, contribue à l'intérêt général. Ses théories inspirent l'économie libérale et ses mouvements acolytes tel l'utilitarisme. Au contraire, la pensée interventionniste et mercantisle est à l'origine des courants socialistes.

Les physiocrates

Ralliés aux doctrines de François Quesnay, les physiocrates forment une des plus brillantes pléiades de penseurs du 18e siècle. Leur nom provient du titre général de Physiocratie donné en 1768 au premier volume du recueil des écrits de Quesnay, publié par Dupont de Nemours, disciple du philosophe.

La doctrine des physiocrates peut être envisagée sous les trois angles de la philosophie, de l'économie politique et de la politique. Le monde est gouverné par des lois physiques et morales qui sont immuables ; il appartient à l'homme, être intelligent et libre, de les découvrir, de les observer ou de les violer pour son bien ou pour son mal. Le but assigné à l'exercice de ses forces intellectuelles et physiques, est l'appropriation de la matière à ses besoins, ce qui lui permet d'améliorer sa destinée. Mais il doit accomplir cette tâche conformément aux idées du juste et de l'utile. 

Tableau économique
Tableau économique |

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Philosophie rurale, ou Économie générale et politique de l'agriculture de Mirabeau
Philosophie rurale, ou Économie générale et politique de l'agriculture de Mirabeau |

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Les physiocrates partent du principe que la matérialité est le caractère fondamental de la richesse, et mesurent la valeur et l'utilité du travail par la quantité même de matière brute qu'il engendre. Cette manière de voir a pour premier effet d'exclure du domaine de l'économie politique l'innombrable quantité des services que les hommes se rendent entre eux. 

Les physiocrates se font donc de la valeur des choses une idée incomplète, qui les empêche de voir clair dans le phénomène de la production, d'apprécier sainement le rôle de la terre, du travail et des capitaux, et de se rendre compte de l'utilité relative et absolue de toutes les branches de l'activité humaine : industrie agricole, industrie manufacturière, industrie voiturière, industrie commerciale, y compris les nombreuses professions où les hommes fournissent et échangent du travail physique et intellectuel, c'est-à-dire des services. C'est ainsi qu'ils sont conduits à n'accorder le caractère de productivité qu'à l'industrie agricole, et à traiter de stériles les autres industries, tout en proclamant, par un accroc à leur logique et pour ne pas méconnaître la vérité qui leur apparaissait sous d'autres aspects, que l'industrie manufacturière, le commerce, et les professions libérales sont essentiellement utiles.

La Bourse de la ville de Chaux
La Bourse de la ville de Chaux |

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Subsistances et approvisionnement

Les produits céréaliers – le blé en particulier – constituent jusqu'à la fin du 19e siècle l'alimentation de base d'une grande partie de la population française. L'article « Grains » rédigé par François Quesnay pour l'Encyclopédie témoigne de l'importance de ces denrées de première nécessité : la culture et la circulation des grains garantissent selon lui la prospérité économique du pays.

Pourvoir aux besoins immédiats de la population est une préoccupation majeure des gouvernements pour éviter les années de disette. Le pouvoir ordonne donc en temps de crise des réquisitions et des rationnements. À plus long terme, il tend à encourager la production (défrichement des terres incultes, introduction de nouvelles cultures, assèchement des zones marécageuses, perfectionnement des méthodes de culture) pour parvenir à remplir les « greniers d'abondance ».

Très tôt se développe aussi le commerce des grains et parallèlement les moyens de lutte contre toute velléité d'accaparement ou de monopole : ce commerce fait l'objet d'un réglementation particulière que la police des grains se charge de faire respecter.

Mais dans les faits, de mauvaises récoltes successives entraînent la hausse du prix du blé, et provoquent des crises de subsistance quasi endémiques. Ces difficultés d'approvisionnement s'accentuent en période de troubles intérieurs ou de guerre.

La grande famine en France (1709)

Distribution du pain du roy au Louvre
Distribution du pain du roy au Louvre |

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C’est sur fond de guerre de Succession d’Espagne que se produit la grande famine de 1709. Un hiver long et très rigoureux a gelé les semences et fait flamber le prix des céréales : celui du pain est multiplié par dix. Des émeutes se déclarent à Paris et dans les villes de province. On tente bien de réglementer le commerce des grains et de distribuer des vivres, mais la population, épuisée, est décimée par la maladie. Emmanuel Le Roy Ladurie estime qu'1,8 million de personnes seraient mortes en 1709-1710, soit près de 8 % de la population de la France de l’époque. 600 000 personnes serait mortes de froid durant ce terrible hiver et 600 000 autres périrent de ses suites, malades et affamées.

Dans le malheur général, on attribua à Henri François d’Aguesseau le salut, relatif, de la population. Il avait mesuré plus tôt que d’autres, à partir de la situation de ses terres de Fresnes, les premiers signes d’une disette des grains et en avait averti le contrôleur général Desmarets. À la tête d’une commission spécialisée, d’Aguesseau prit des mesures d’urgence en se préoccupant autant de la nourriture des pauvres que des conséquences sanitaires de la pénurie. 

La guerre des farines (1775)

Soixante cinq ans plus tard, à la suite de mauvaises récoltes de blé, certaines régions françaises souffrent à nouveau d’une véritable famine, tandis que d’autres, mieux approvisionnées, sont épargnées. 

En 1774, Turgot provoque une flambée des prix du pain et une disette généralisée en libéralisant le commerce des grains. C’est l’agitation sur les lieux de distribution des farines, et la révolte gronde contre les commerçants spéculateurs. Une vague d’émeutes, appelée la « guerre des farines », a lieu dans la moitié nord du royaume en avril et mai 1775 : pillages, attaques de dépôts et de boulangeries, entrave des axes fluviaux et routiers. Marchands et fermiers sont généralement visés, mais aussi les représentants directs du pouvoir, meuniers affairistes ou conseillers aux parlements. 

Signe avant-coureur de la Révolution, ces émeutes seront finalement enrayées par l’intervention massive des soldats du roi. L’ordre est rétabli par un contrôle des prix du blé et par l’organisation d’un approvisionnement des provinces en difficulté.

L'importance des colonies

Au 18e siècle, les colonies assurent une large part des richesses en Europe. Fondées sur un système esclavagiste, elles permettent l'arrivée en métropole de métaux précieux et surtout de denrées exotiques, comme le sucre, le cacao, le tabac, le coton, etc. qui compensent les difficultés des secteurs traditionnels comme le blé, le vin ou le sel. Le commerce triangulaire est à son apogée et la compétition est rude autour des possessions outre-mer. 

Le raté de la spéculation américaine : la banqueroute de Law

La banqueroute de Law
La banqueroute de Law |

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À la mort de Louis XIV, la France se trouve dans une situation financière désastreuse : sa dette représente dix ans de recettes fiscales. Le duc Philippe d’Orléans, qui assure la régence, est séduit par l’économiste écossais John Law, dont les théories audacieuses pourraient permettre de régler le problème de l’endettement et relancer l’économie. Il l’autorise à créer en 1716 une banque privée qui émette du papier-monnaie, puis le nomme contrôleur général des Finances. 

Mais la banque, devenue banque d’État, s’engage dans des spéculations sur le commerce des colonies en Amérique, spéculations que bientôt personne ne parvient plus à contrôler. Le 17 juillet 1720, à suite d’une panique digne d’un krach boursier, la bousculade est si forte au siège de la banque que « quinze à seize personnes furent étouffées ». Si le système de Law permet à certains, dont l’avisé Voltaire, de s’enrichir, il en ruine beaucoup d’autres et laisse pour longtemps un doute planer sur la fiabilité du papier-monnaie.

L'apogée du commerce colonial

Malgré cet échec, les colonies prennent au 18e siècle une place de plus en plus importante dans l'économie. Plusieurs empires coloniaux, d’importance inégale, coexistent. Alors que l’empire portugais et l’empire espagnol sont déjà sur le déclin, l’empire britannique est en pleine expansion. La France et l’Angleterre sont rivales et se disputent la suprématie partout où la colonisation progresse, que ce soit en Amérique du Nord, pour l’embouchure du Saint-Laurent ou la Louisiane, dans les îles des tropiques ou en Inde. 

En France, les grands ports atlantiques comme Nantes, Bordeaux et Marseille sont à l'avant-poste de ce commerce. Leurs navires chargent des esclaves noirs en Afrique, qu'il revendent dans les colonies américaines dont ils reviennent chargés de denrées coûteuses. Ce commerce est essentiellement régional, s’appuyant sur des arrière-pays portuaires dynamiques, qui voient la montée en puissance de dynasties négociantes et l’expansion des classes moyennes du négoce. Cependant, il reste fragile, en raison de sa dépendance aux marchés extérieurs et du manque de relation avec l'activité industrielle intérieure.

Vue de la ville et du port de Bordeaux prise du côté des salinières
Vue de la ville et du port de Bordeaux prise du côté des salinières |

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Le commerce colonial connaît un pic de développement dans les années 1740, mais la guerre de Sept Ans met temporairement un frein à son expansions. Exacerbant les rivalités à la fois en Amérique du Nord et en Inde, elle s'achève sur une défaite française et le triomphe de la Grande-Bretagne. La guerre d'indépendance américaine permet toutefois un nouveau développement du commerce colonial français dans les années 1780. Il restera un aspect important de l'économie française et britannique au 19e siècle.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

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