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La Bête humaine

Affiche de La Bête humaine
Affiche de La Bête humaine

Bibliothèque nationale de France

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La Bête humaine, dix-septième volume de la série des Rougon-Macquart, est publié en 1890. Il s'agit d'un roman noir évoquant plusieurs viols et meurtres dont la violence a choqué les contemporains de Zola. La Bête humaine a pour cadre le monde ferroviaire et met en scène la folie héréditaire de Jacques Lantier, le mécanicien de la ligne Paris-Saint-Lazare-Le Havre.

Une série de meurtres

Dix-septième volume de la série des Rougon-Macquart, La Bête humaine est publiée en librairie chez Charpentier, le 4 mars 1890. Le roman a d'abord été publié en feuilleton dans La Vie populaire, du 14 novembre 1889 au 2 mars 1890.

La Bête humaine met en scène une série de meurtres commandés par la jalousie, la cupidité ou l'instinct aveugle. Le sous-chef de gare Roubaud assassine le vieux Grandmorin qui a eu autrefois une liaison avec sa femme, Séverine. Le mécanicien Jacques Lantier (qui conduit une locomotive appelée « la Lison ») devient l'amant de Séverine. Cette dernière souhaite qu’il la débarrasse d’un mari devenu gênant, mais Jacques la tue, dans un accès de folie héréditaire. L’enquête conduite par le juge Denizet ne parvient pas à trouver les coupables et aboutit à la condamnation d’un innocent.

Le récit de Séverine
Le récit de Séverine |

Bibliothèque nationale de France

Arbre généalogique des Rougon-Macquart annoté
Arbre généalogique des Rougon-Macquart annoté |

Bibliothèque nationale de France

Le héros du roman devait, à l'origine, être Étienne Lantier, mais, en travaillant sur son projet, Zola s’est aperçu qu’il ne pouvait reprendre le héros de Germinal et en faire un meurtrier. C’est pourquoi il a modifié l’arbre généalogique des Rougon-Macquart pour attribuer à Gervaise un troisième fils, frère de Claude et d’Étienne : Jacques.

Comme il l’écrit dans son dossier préparatoire, Zola a voulu construire « un drame violent à donner le cauchemar à tout Paris ». Dans une lettre au critique hollandais Jacques Van Santen Kolff, datée du 6 juin 1889, il analyse ainsi son œuvre : « C'est en somme l'histoire de plusieurs crimes, dont l'un central. Je suis très content de la construction du plan, qui est peut-être le plus ouvragé que j'aie fait, je veux dire celui dont les diverses parties se commandent avec le plus de complication et de logique. L'originalité est que l'histoire se passe d'un bout à l'autre sur la ligne du chemin de fer de l'Ouest, de Paris au Havre. On y entend un continuel grondement de trains : c'est le progrès qui passe, allant au 20e siècle, et cela au milieu d'un abominable drame, mystérieux, ignoré de tous. La bête humaine sous la civilisation. »

La gare Saint-Lazare
La gare Saint-Lazare |

Bibliothèque nationale de France

Pour construire ses figures de criminels, Zola s’est appuyé sur les travaux de Gabriel Tarde (La Criminalité comparée, 1886) et surtout sur ceux de Cesare Lombroso (dont L'Homme criminel a été traduit de l'italien en 1887). Il a longuement réfléchi au modèle que lui fournissait Crime et Châtiment, dont la traduction française date de 1885. Les thèses de Dostoïevski sur le « droit au meurtre » sont alors présentes dans tous les esprits. Zola veut leur opposer la logique de l'hérédité. Jacques Lantier tue parce qu'il est poussé par une force qui le dépasse, une « folie homicide ». Autour de lui, d'autres types de criminels offrent des attitudes qui semblent plus rationnelles, mais qui sont, en fait, commandées par une même forme de démence.

La charge symbolique de la locomotive

La notion de « bête humaine » combine l'idée de violence, impliquée par le thème de la bestialité, et celle d'une hérédité reliant l'individu aux autres – à ses ancêtres et à l'humanité tout entière. Le train qui passe se charge de toutes ces valeurs imaginaires : comparable à un cheval fou lancé dans un galop sans but, il emporte des foules humaines allant vers un destin qu'elles ignorent ; et le tunnel qui l'aspire, figurant une bouche terrestre, complète cette évocation monstrueuse qui rappelle celle du Voreux, dans Germinal.

Mais les bêtes sauvages restent des bêtes sauvages, et on aura beau inventer des mécaniques meilleures encore, il y aura quand même des bête sauvages dessous.

Émile Zola, La Bête humaine , 1890.

À l'attention de Van Santen Kolff, Zola commente ainsi le sens de la formule retenue pour le titre : « Quant au titre, La Bête humaine, il m'a donné beaucoup de mal, je l'ai cherché longtemps. Je voulais exprimer cette idée : l'homme des cavernes resté dans l'homme de notre 19e siècle, ce qu'il y a en nous de l'ancêtre lointain. D'abord, j'avais choisi : Retour atavique. Mais cela était trop abstrait et ne m'allait guère. J'ai préféré La Bête humaine, un peu plus obscur, mais plus large ; et le titre s'imposera, lorsqu'on aura lu le livre. » (lettre du 6 juin 1889).

La Gare d’Argenteuil
La Gare d’Argenteuil |

© Conseil général du Val-d’Oise, Cergy-Pontoise

Notes sur l'atmosphère de la gare Saint-Lazare
Notes sur l'atmosphère de la gare Saint-Lazare |

Bibliothèque nationale de France

Deux milieux sont présentés d’une façon conjointe : celui des chemins de fer et celui de la justice. Zola a rassemblé dans une œuvre unique des thèmes qui devaient à l’origine composer la matière de deux romans distincts. La superposition des intrigues, la répartition des scènes dramatiques sur plusieurs lieux auraient pu donner une impression de confusion. Mais, ordonnée autour d’un axe, celui du chemin de fer Paris-Le Havre, l'intrigue repose sur un schéma spatial qui lui confère une grande lisibilité. Son centre de gravité est occupé par une intersection, la Croix-de-Maufras, territoire maudit, lieu où se produisent les meurtres et où se déroule la catastrophe ferroviaire décrite dans l’un des chapitres du roman. Les personnages ne s'en éloignent que pour revenir à ce point central, où leur destin s’accomplit.

Réception et adaptations

La publication du roman a été entourée par de nombreux articles de presse qui ont évoqué les recherches entreprises par le romancier pour découvrir l’univers des chemins de fer. La couverture de L'Illustration du 8 mars 1890 montre, par exemple, Zola juché sur une locomotive, accomplissant, à côté du mécanicien, le trajet Paris-Mantes. L'accumulation de scènes de violence choqua une grande partie de la critique, qui reconnut cependant la force dramatique de l’œuvre. Reprenant l’analyse qu’il avait déjà proposée à l’occasion de Germinal, Jules Lemaitre, dans Le Figaro du 8 mars 1890, qualifia le roman d’« épopée préhistorique sous la forme d'une histoire d'aujourd'hui ».

- Dites à M. Zola que nous n’accorderons le déraillement que quand il sera de l’Académie.
- Dites à M. Zola que nous n’accorderons le déraillement que quand il sera de l’Académie. |

Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Le cinéma a réalisé deux adaptations remarquables de La Bête humaine : en 1938, grâce à Jean Renoir (avec Jean Gabin dans le rôle de Lantier, et Simone Simon dans celui de Séverine), et en 1954, grâce à Fritz Lang (sous le titre de Human desire, avec Glenn Ford et Gloria Grahame dans les deux rôles principaux).

Provenance

Cet article a été rédigé en mars 2025.

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