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La presse des Lumières

Lecture du journal par les politiques de la Petite Provence au jardin des Thuilleries
Lecture du journal par les politiques de la Petite Provence au jardin des Thuilleries

Bibliothèque nationale de France

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Née au 17e siècle, la presse participe du mouvement des Lumières, même si les philosophes l’ont souvent négligée voire méprisée. Elle contribue en effet à la diffusion des connaissances et participe à la constitution d'une opinion publique.

Une production artisanale et subversive

En France, les périodiques se développent à la fin du 17e siècle autour de la querelle des Anciens et des Modernes puis, au début du siècle suivant, autour de la controverse janséniste. Les parutions prennent diverses formes : aucune frontière étanche ne sépare les lettres personnelles des gazettes à la main, et les « correspondances littéraires » manuscrites des journaux imprimés. 

Des publications clandestines

Dans les années 1720-1740, une presse d’auteurs, parmi lesquels Marivaux ou l’abbé Prévost, apparaît : ce sont les « Spectateurs » ou « Observateurs » inspirés d’Addison et Steele. Il s’agit de petits journaux désinvoltes présentés par un narrateur fictif. Leurs auteurs sont souvent victimes de la censure et exilés ou emprisonnés. 

Pierre Carlet de Marivaux
Pierre Carlet de Marivaux |

© Collection Comédie-Française

Portrait de Pierre Bayle
Pierre Bayle |

Bibliothèque nationale de France

D’autres courants d’informations émergent, également victimes du pouvoir dominant : par exemple, les « bibliothèques savantes » publiées par les protestants du Refuge. La plus connue est celle de Pierre Bayle, les Nouvelles de la République des Lettres (1684-1718). Elles dominent la vie intellectuelle en Europe jusqu’en 1750. De même, les Nouvelles ecclésiastiques, jansénistes et modèle de journal clandestin, atteignent de 1728 à 1803 un vaste public grâce à un réseau de distribution soigneusement organisé.

Les « nouvelles à la main »

Nouvelles à la main
Nouvelles à la main |

Bibliothèque nationale de France

Il faut aussi évoquer les gazettes manuscrites ou « nouvelles à la main », depuis celles de la très jansénisante « paroisse Doublet », du nom de la salonnière, amie de Bachaumont chez qui elles s’écrivaient, jusqu’à la Correspondance littéraire dirigée par Grimm avec l’appui de Diderot et de Mme d’Epinay de 1753 à 1773 et poursuivie par Jacob-Henri Meister jusqu’en 1813.

Aristocratique et sélective, elle était destinée aux princes « éclairés » de l’Europe du Nord : Catherine II était abonnée depuis 1762. Plus de 3600 textes importants y parurent, dont 600 environ sont restés inédits. C’est ainsi que Diderot, pris par L’Encyclopédie et las des persécutions, ne fait plus rien paraître après 1754, publiant ses œuvres (soit environ 60 % de l’ensemble) dans la Correspondance littéraire. Éditée à une quinzaine d’exemplaires seulement, la Correspondance littéraire était par la suite recopiée et diffusée plus largement.

La professionnalisation

Journal de Paris
Journal de Paris |

© Bibliothèque nationale de France

Dans la seconde moitié du siècle, les titres spécialisés se multiplient : Journal économique, Journal de médecine, Année littéraire (1754-1790) et même Journal des dames (1759-1777).

Le Journal de Paris, le premier quotidien français est lancé le 1er janvier 1777. De format in-quarto, il comporte quatre pages par numéro. Il est lancé par une société de commanditaires et Condorcet figure parmi ses rédacteurs réguliers. Sa maquette nous paraît très moderne avec des rubriques bien séparées qui permettent une lecture rapide. En tête, figurent des informations pratiques (météo, bourse, tirage de la loterie, spectacles). Il est destiné à la bourgeoisie laborieuse parisienne et la rubrique nécrologique mêle nobles, bourgeois, marchands et artisans.

Charles Panckoucke et le journalisme comme métier

C'est aussi au 18e siècle que le journalisme devient un métier contribuant à l’indépendance – relative – d’auteurs comme Fréron, La Harpe, Linguet ou Pierre Rousseau. 

Charles Panckoucke est l'un des premiers « magnats » de la presse, qui contribue activement à cette expansion, avec son Encyclopédie méthodique. En regroupant plusieurs journaux sous un même titre, il annonce les grands entrepreneurs du siècle suivant. 

Abonnements et collections

De nombreuses publications se présentent en série pour suivre la clientèle et s'adapter à sa demande. Le système des abonnements se développe : le Mercure de France a 10 000 abonnés vers 1778. Racheté par Panckoucke en 1779, il paraît chaque semaine avec 15 000 abonnés en 1789.

Les périodiques les plus appréciés sont réédités en collections, et la frontière entre périodique et collection est ténue : La Bibliothèque universelle des romans (1775-1789) est une série périodique qui donne par abonnement des résumés d’œuvres. Les modes d’exploitation du périodique (souscription ou abonnement impliquant une gestion de fichiers et une étude de marché) servent au commerce du livre.

Vers la Révolution

La multiplication des imprimés s'accélère à partir du milieu du siècle et devient vertigineux à l'approche de la Révolution, puis après 1789, tandis que des gazettes continuent d'arriver de l'étranger. De 200 titres de périodiques à la fin du 17e siècle, on passe à 1050 un siècle plus tard. Ils sont de plus en plus durables et la Gazette affiche un tirage de 12 000 exemplaires.

Si la presse française est étroitement contrôlée par le pouvoir, l’émigration huguenote permet l’essor aux Pays-Bas, puis à Londres, d’une presse à peu près libre qui informe toute l’Europe (gazettes d’Amsterdam, de Leyde ou d’Utrecht, Courrier de l’Europe à Londres, très influent à la fin de l’Ancien Régime). Cet essor de la presse témoigne de l’apparition d’une « opinion publique » et d’un « espace public » tel que l’a défini Jürgen Habermas.  À la veille de la Révolution, de nombreuses gravures montrent la lecture des gazettes à haute voix dans les cafés ou les jardins publics.

Le pouvoir de la presse

Les Annales politiques, civiles, militaires du dix-huitième siècle…
Les Annales politiques, civiles, militaires du dix-huitième siècle… |

© Bibliothèque nationale de France

Le périodique transforme les rapports entre l'écriture, la lecture, la vérité et le temps. Les événements rapportés par les journalistes se rapprochent, une familiarité s'établit entre l'ailleurs et l'ici, le pouvoir et le public. La mise en page des périodiques sur grand format et surtout celle des gazettes habituent à une lecture fragmentée qui renvoie à un monde dispersé. 

La découverte de l'Encyclopédie suppose un itinéraire à travers l'ordre lexical, en suivant l'arbre des connaissances et les renvois ; celle d'une gazette invite à une confrontation d'informations qui sont datées, situées, rapportées à une origine. L'opinion devient l'enjeu d'une bataille de nouvelles. Les articles de journaux sont relayés par les brochures, les mémoires judiciaires et les livres perdent leur statut de monument intemporel pour devenir des contributions relatives et historiques. La familiarité du lecteur avec la presse est manifeste avec l'apparition de la lettre de lecteur. Un dialogue s'établit entre ceux dont la lecture n'est pas attente passive et les rédacteurs qui ont besoin des informations et des réactions de leur public.

La presse à scandale

À la veille de la Révolution, surgit une presse scandaleuse, qui est un peu l'ancêtre de nos tabloïds. L’exemple le plus célèbre est le Gazetier cuirassé de Théveneau de Morande, publié à partir de 1771, et dont le frontispice indique qu’il est « imprimé à cent lieues de la Bastille, à l’enseigne de la Liberté ».

Journal de la cour du palais
Journal de la cour du palais |

Bibliothèque nationale de France

Un demi-million de lecteurs à la veille de 1789

Si l’on évalue l’audience de la seule presse d’information à 6 ou 8 lecteurs l’exemplaire – un correspondant du libraire Panckoucke estime en 1778 à 40 000 le nombre des lecteurs des 6 000 exemplaires diffusés du Mercure de France, on peut estimer que 420 000 à 560 000 lecteurs sont touchés par les 70 000 exemplaires que diffuse la presse d’information au début des années 1780, lors de la guerre d’Indépendance américaine. Ils se répartissent peu ou prou comme suit 

  • 12 000 Gazette de France
  • 14 000 gazettes périphériques, 
  • 19 500 exemplaires correspondant aux deux journaux politiques et littéraires de Panckoucke en 178
  • 5000 exemplaires du Journal de Paris
  • 6000 exemplaires des deux Affiches de Paris
  • 13 500 exemplaires des nombreuses Affiches, premiers journaux des provinces. 

À la veille de 1789, ces gazettes et ces journaux étaient donc capables de mobiliser un demi-million de personnes désirant connaître, comprendre et discuter une actualité désormais mouvante et foisonnante. Ayant déjà un nombreux public, une nouvelle presse politique et militante pouvait littéralement exploser, enfin libérée des privilèges et de la censure royale.

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, 1789, art. 11