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Anthologie

Les Contes des fées de Madame d'Aulnoy dans le texte

Une sélection d'extraits pour découvrir quelques-uns des contes de Madame d'Aulnoy, parus seulement quelques mois après ceux de Charles Perrault, et comptant parmi les premiers contes merveilleux publiés en France.

L'oiseau bleu

Marie-Catherine d'Aulnoy, Contes des Fées, 1697
Le roi, père de Florine, se remarie après la mort de sa première femme. Invité à la Cour, le roi Charmant est épris de Florine. Leurs amours sont empêchés par la reine, qui espère le faire épouser sa propre fille, Truitonne. Une fée jette un sort à Charmant, et le change en oiseau bleu pour sept ans. Il parvient à voler jusqu'à la tour de Florine.

Lorsque Florine revint de son évanouissement, elle ouvrit sa fenêtre, et passa la nuit à gémir et à pleurer ; elle fit de même les nuits suivantes, car elle ne pouvait dormir.
Cependant l'Oiseau bleu voltigeait autour du palais où il pensait que Florine était renfermée ; il s'approchait des fenêtres autant qu'il pouvait; mais la crainte d'être reconnu par Truitonne l'obligeait à de grandes précautions, et il ne chantait que la nuit.
Vis à vis de la fenêtre de Florine était un cyprès d'une grande hauteur. L'Oiseau bleu s'y percha. Aussitôt il entendit la voix d'une dame qui se plaignait en termes touchants. Il aurait voulu la voir ; mais elle ferma sa fenêtre avant le jour.
L'Oiseau revint la nuit suivante, et comme il faisait clair de lune, il reconnut Florine qui disait :
— Inconstante Fortune, je te demande pour unique faveur de terminer ma triste destinée.
— Florine ! s'écria l'Oiseau bleu, cessez de vous plaindre, vos maux auront un terme.
— Qui me parle? s'écria la princesse effrayée.
— Un roi malheureux qui n'aimera jamais que vous, répondit l'Oiseau.
Il vola sur la fenêtre, et lui raconta la pénitence qu'il subissait pour avoir refusé d'épouser Truitonne.
— Ne cherchez pas à me tromper, dit Florine, je sais que vous avez épousé Truitonne; j'ai vu votre anneau à son doigt et les diamants que vous lui avez donnés ; elle est venue m'insulter dans ma prison.
— Vous avez vu Truitonne, interrompit le roi ; sa mère et elle ont osé vous dire que ces joyaux venaient de moi? Sachez, au contraire, qu'elles ont voulu me tromper en mettant Truitonne à votre place.
Comme le jour paraissait, ils se séparèrent, après s'être promis de se parler ainsi chaque nuit.

Marie-Catherine Le Jumel de Barneville baronne d'Aulnoy, Contes des Fées : Paris, Bernardin-Béchet, 1868, pp.193-231

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Le nain jaune

Marie-Catherine d'Aulnoy, Contes des Fées, 1697
La fille de la reine, qu'on nomme Toute-Belle, ne cesse de repousser les avances de ses prétendants, si bien que la reine craint qu'elle ne se marie jamais. Elle décide de se rendre auprès de la Fée du désert, afin qu'elle lui vienne en aide. Sur le chemin, la reine se retrouve encerclée par des lions. C'est alors qu'elle aperçoit un nain jaune.

L’était une fois une reine veuve, qui, de tous ses enfants, n'avait conservé qu'une fille merveilleusement belle. Elle craignait tant de la perdre, qu'elle ne corrigeait pas ses défauts, et cette belle princesse devint si fière qu'elle méprisait tout le monde. 
Sa mère envoya son portrait dans différentes cours, et vingt rois la demandèrent en mariage, mais Toute-Belle (c'est le nom que la reine lui avait donné) les regardait tous comme au-dessous d'elle, et quand ils dépensaient trois ou quatre cents millions à lui donner une fête, elle croyait les récompenser trop en leur disant : cela est joli. On ne faisait des feux de joie dans tout le pays qu'avec les vers de tous les poètes qui chantaient à l'envi la beauté de Toute-Belle. 
La reine ne savait comment la marier, quoiqu'elle eût déjà quinze ans, car on se serait pendu six fois par jour pour lui plaire, qu'elle aurait traité cela de bagatelle. Ne voulez-vous pas, lui disait-elle, rabattre un peu votre orgueil, et choisir pour époux un de ces rois ? sachez qu'il n'y en a point ailleurs qui les vaillent. 
Cela était vrai, mais la fière princesse croyait valoir encore mieux, et, par son entêtement à rester fille elle chagrina tant sa mère, que celle-ci se repentit de l'avoir si mal élevée. 
Ne sachant plus que faire, la reine alla trouver une célèbre fée, qu'on appelait la fée du Désert. Cette fée était gardée par des lions, mais la reine savait que, pour passer, il fallait leur jeter du gâteau fait de millet avec du sucre candi et des œufs de crocodiles. Comme elle était lasse d'avoir marché longtemps, elle se coucha au pied d'un arbre et s'endormit. Mais en s'éveillant elle ne trouva plus le gâteau qu'elle devait jeter aux lions, et pour comble de malheur, elle les entendit venir avec bruit car ils l'avaient sentie. 
Hélas ! s'écria-t-elle, je serai dévorée 
Et n'ayant pas la force de se sauver, elle se serrait contre l'arbre sous lequel elle avait dormi. Elle entendit tout à coup 
Chet, chet, hem, hem; et, levant les yeux, elle aperçut sur l'arbre un petit homme haut d'une coudée ; il mangeait des oranges et lui dit : Oh ! oh ! reine, je vous connais bien, et vous allez être dévorée.
 Hélas! répondit la reine en pleurant, j'en aurais moins de regret si ma chère fille était mariée !
 Quoi, vous avez une fille ? s'écria le nain jaune (on le nommait ainsi à cause de la couleur de son teint et de l'oranger où il demeurait), et bien ! moi je cherche une femme, et si vous me promettez votre fille, je vous garantirai des lions. La reine le regarda, et fut presque aussi effrayée de son horrible petite figure qu'elle l'était des lions. 
 Quoi, madame, vous hésitez ? cria-t-il.

Marie-Catherine Le Jumel de Barneville baronne d'Aulnoy, Contes des Fées : Paris, Bernardin-Béchet, 1868, pp.169-191

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La belle aux cheveux d'or

Marie-Catherine d'Aulnoy, Contes des Fées, 1697
La reine a une fille dont on vante la beauté à travers tout le royaume, et qu'on surnomme Belle aux cheveux d'or. Lorsque le roi d'une contrée voisine se décide à l'épouser, il lui envoie son jeune ambassadeur Avenant afin qu'il la persuade.

Il y avait une fois la fille d'un roi, qui était si belle qu'on la nommait la Belle-aux-Cheveux-d'Or ; car ses cheveux fins et dorés lui tombaient jusqu'aux pieds.
Un jeune roi de ses voisins, bien fait, riche et point marié, ayant appris tout le bien qu'on disait d'elle, résolut d'envoyer un ambassadeur la demander en mariage.
Il donna un riche cortège à cet ambassadeur et lui recommanda bien de lui amener la princesse.
Le roi, ne doutant pas que la Belle-aux-Cheveux-d'Or ne l'acceptât pour mari, fit faire d'avance de belles robes et des meubles admirables ; mais l'ambassadeur étant arrivé chez cette princesse, elle lui répondit qu'elle n'avait pas envie de se marier.
Quand l'ambassadeur revint près du roi son maître, chacun s'affligea de ce qu'il n'amenait point la Belle-aux-Cheveux-d'Or, et le roi était plus triste que tout le monde.

Il y avait à la cour un jeune garçon beau comme le soleil et qu'à cause de sa bonne grâce et de son esprit on nommait Avenant.
Tout le monde l'aimait, hors les envieux qui étaient fâchés parce que le roi avait confiance en lui.
Quand Avenant eut appris que l'ambassadeur n'avait pas ramené la princesse, il dit imprudemment :
 Si le roi m'avait envoyé vers la Belle-aux-Cheveux-d'Or, elle serait venue avec moi.
Les envieux dirent alors au roi qu'Avenant prétendait qu'il aurait ramené la Belle-aux-Cheveux-d'Or, parce que, comme il était plus beau et plus spirituel que le roi, elle l'aurait suivi partout. Voilà le roi en colère tant et tant qu'il s'écrie :
 Ha ! ha ! ce joli mignon se moque de moi ! Qu'on le mette dans ma grosse tour et qu'il y meure de faim.
Les gardes du roi traînèrent Avenant en prison et lui firent mille maux. Ce pauvre garçon y serait mort sans une fontaine qui coulait au pied de la tour et qui lui fournissait un peu d'eau, car la faim lui avait desséché la bouche. Un jour, n'en pouvant plus, il disait en soupirant : 
 De quoi se plaint le roi ? Il n'a pas de sujet plus fidèle que moi ; je ne l'ai jamais offensé.
Le roi, passant par là, l'entendit par hasard et lui ouvrit la porte de sa prison.
 Pourquoi, demanda le roi, as-tu dit que si je t'avais envoyé chez la Belle-aux-Cheveux-d'Or tu l'aurais bien amenée ?
 Parce que, répondit Avenant, je lui aurais si bien fait connaître vos grandes qualités qu'elle n'aurait pu se défendre de venir.
 

Marie-Catherine Le Jumel de Barneville baronne d'Aulnoy, Contes des Fées : Paris, Bernardin-Béchet, 1868, pp.39-54

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